vendredi 2 juin 2017

Une expérience de Ramadan - Deuxième Partie

Le début de la période de jeûne fut un peu difficile : j’ignorais ce qui m’attendait et donc je manquais de préparation. Je n’avais pas prévu de commencer le jeudi de l’Ascension, mais… au cours d’une promenade vers midi, j’ai soudainement décrété que ce jour serait celui où je commencerais mon jeûne. Bien évidemment, je n’avais pas assez mangé le matin, pensant me rattraper à midi, et il faisait vraiment chaud. Mais mis à part l’estomac qui criait famine, c’était agréable de passer l’après-midi à lire des textes en rapport avec la religion ; prier à heures fixes m’a semblé plutôt amusant. Hélas, ce soir-là j’ai commis l’erreur de débutante de manger trop lourd et ma nuit fut affreuse ; j’ignore même si j’ai fini par m’assoupir, mais de toute manière je devais me lever tôt pour le repas du matin.

Cette deuxième journée de jeûne fut de loin la plus éprouvante : à cause de la fatigue, je me suis battue avec une migraine qui ne m’a lâchée que le soir quand, de guerre lasse, j’ai pris un cachet. Je m’étais forcée à manger copieusement le matin afin de prendre de suite les bons réflexes, mais au sortir de table j’avais une vague nausée. Finalement, le malaise s’est passé en allant marcher au parc à la fraîche. J’ai poursuivi mes lectures, mais pas aussi assidûment que la veille car j’avais un rendez-vous au dehors (et de nouveau il faisait chaud…). En rentrant, j’ai eu le grand bonheur de découvrir dans ma boîte aux lettres la nouvelle traduction du Coran que j’attendais [pour mémoire, celle de Mohammed Chiadmi]. J’étais trop fatiguée pour l’ouvrir de suite mais je me promis de commencer à la lire dès le lendemain. En revanche ce jour-là, j’ai manqué zuhur (jétais en ville) et totalement oublié asr et maghrib ; aussi ai-je décidé de mettre une alarme sur mon téléphone pour les jours suivants.

Le troisième jour, les choses ont commencé à s’améliorer : la nuit n’ayant pas été très longue, j’étais encore fatiguée mais je me sentais reprendre des forces, la migraine avait disparu et le ciel voilé avait amené un peu de fraîcheur. J’ai commencé à dévorer le Coran en commençant par les nombreuses explications historiques et théologiques présentes dans cette édition, puis en prenant les sourates, non pas dans leur ordre de classement, mais dans celui de leur révélation. Cela me semblait logique pour mieux comprendre l’évolution de la Révélation, et judicieux dans la mesure où il est important de replacer chaque texte dans son contexte. En lisant les sourates dans l’ordre chronologique, j’évitais les allers-retours dans le temps et les inévitables confusions. En général, les sourates révélées à La Mecque (soit avant l’Hégire) sont courtes ainsi que leurs versets, et se situent donc vers la fin de l’ouvrage (les sourates sont classées par ordre de taille décroissante, à l’exception de la première, la fatiha, que l’on nomme aussi l’ouverture). J’ai beaucoup apprécié cette lecture, et y ai consacré quelques heures le quatrième jour. En revanche, je n’ai pas aimé prier aux heures fixées : pour zuhur, l’alarme a retenti alors que j’étais en pleine lecture d’une sourate ; pour asr, je n’arrivais pas à me prier avec mon cœur (je n’avais tout simplement PAS envie de prier à ce moment-là) ; maghrib m’a surprise alors que je mettais la table, mais cette fois la prière est venue plus facilement.

Le bilan des quatre premiers jours s’est avéré mitigé. L’absence de nourriture ne me dérangeait pas, même si je ressentais la faim avec plus ou moins d’intensité suivant l’heure ; il faut dire que cela m’arrive de temps en temps de sauter le repas du midi lorsque je suis en phase d’écriture ou que j’ai une réunion. Il me restait une appréhension liée à la fatigue accumulée, mais je me rendais compte parallèlement qu’en dépit d’une nuit blanche et de nuits un peu courtes, je me sentais bien. En revanche, respecter le rythme imposé me déplaisait au plus haut point, et je retrouvais la sensation d’étouffement que j’avais ressentie lors de ma retraite au monastère bouddhiste, avant d’avoir trouvé mes marques. Même si une voix en moi me poussait à essayer encore, spirituellement je me sentais frustrée et chaque soir, je me demandais pourquoi j’avais décidé de faire ce jeûne, dans la mesure où je ne voyais pas beaucoup de différence avec les heures que je passe en temps normal à lire ou écrire en rapport avec la religion. J’avais envie d’arrêter et de reprendre ma liberté, je ne comprenais pas comment on pouvait s’estimer heureux d’avoir à se mettre en retrait de la sorte pendant un mois entier. Car voilà bien ma grande crainte : ne plus être libre de mon emploi du temps, ne plus pouvoir prier quand j’en ressens l’envie ou le besoin, brider ma spiritualité et l’enfermer entre les limites d’un dogme ou d’un rite.

Puis j’ai réalisé que mon approche de la question était sans doute trop sévère, que d’un côté je mettais la barre trop haut et de l’autre, je manquais de flexibilité. J’avais abandonné toutes mes activités habituelles pour rester assise à lire, c’était certes enrichissant mais je n’avais pas plus l’impression de m’être rapprochée de Dieu que d’avoir fait quelque chose d’utile de ma journée. En parallèle, j’expédiais le repas du soir que je jugeais purement utilitaire, alors que depuis toujours j’aime autant cuisiner que manger. Vouloir me préserver à tout prix de la fatigue et de la chaleur n’était pas forcément une bonne idée, d’autant plus que je vis seule et que vu l’incongruité de ma démarche, je n’avais même pas le bonheur de rompre le jeûne au sein d’une communauté. Alors, le cinquième jour, j’ai longuement lu le Coran mais aussi, j’ai fait la lessive, le ménage et le repassage, j’ai passé plusieurs heures à préparer des plats attrayants pour la semaine, et j’ai trouvé du temps pour rendre visite à un ami. A partir de là, je me suis sentie beaucoup mieux, plus en paix et moins frustrée. Les horaires de prières ne me dérangeaient plus autant. Et j’ai eu envie de poursuivre ce beau voyage.

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