lundi 31 août 2015

Retour d'Arctique

Bonjour à tous !

Le silence du mois de juillet sur ce blog s'explique simplement : quelques jours sur la route de Saint Jacques de Compostelle, une semaine clouée au lit à cause d'un virus ou parasite attrapé au Congo il y a quelques années, puis une semaine de trek en Arctique. Même si je ne suis d'ordinaire pas une grande fan des randonnées et treks, je dois reconnaître que camper au bord d'un glacier à mille kilomètres du Pôle Nord est une expérience à ne pas manquer. Voici quelques photos, explications et anecdotes, qui vous donneront un aperçu des lieux.

  • Mollisol, moraines et pierriers
Si vous vous rendez en Arctique, ne cherchez pas les sentiers de randonnée : il n'y en a pas. Les glaciers et fjords sont bordés de moraines et de pierriers, ce qui n'est pas toujours facile d'accès, les moraines étant boueuses et les pierriers instables. Néanmoins, du sommet des montagnes (autour de 600-1000 m près du Spitzberg), on apprécie une vue dégagée sur les environs.

La plage de cailloux avec le glacier au fond
Un iceberg provenant du vêlage du glacier
Le glacier vu de la mer (20 à 25 m de haut)
La coloration bleue de la glace
Les plissements du glacier
La toundra vue du sommet d'un pierrier

  • Faune
L'animal emblématique de l'Arctique est l'ours polaire, situé tout en haut de la chaîne alimentaire. Si finalement nous n'en avons pas vu de tout le séjour, l'ours était bien présent dans notre mode de fonctionnement. Les précautions à prendre pour éviter de l'attirer sont simples : stocker les vivres à bonne distance des tentes et prendre ses repas hors de la zone de couchage. Jeter les détritus biodégradables à la mer (la température du sol étant très basse, l'enfouissement ne permet pas aux déchets de se décomposer), et les autres déchets dans une poubelle, à conserver également loin des tentes. Autres animaux typiques de la région, les phoques, le renard polaire, les rennes et les innombrables oiseaux (sternes arctiques, oie bernache, macareux, ...). Sans oublier par endroits les nuées de moustiques qui, bien que les livres traitant de la région nous aient assurés que nous n'en rencontrerions pas, ne nous ont pas ratés !

Un phoque
Des rennes
Des guillemots
Des macareux
Une oie bernache
Un renard polaire (Isatis)

  • Flore
La flore est plus développée que je l'aurais cru à prime abord, mais il ne faut pas se faire d'illusions : les "arbres" comme le saule arctique ne dépassent pas quelques cm de haut en plein été. Certaines fleurs commencent même à fleurir sous la neige, afin d'avoir le temps de faner et se reproduire durant l'étroite fenêtre de dégel. La toundra est très présente (graminées, carex, lichens, mousses et arbrisseaux) dans les zones humides. Nous avons observé le pavot arctique, le saxifrage à feuilles opposées, des saules arctiques de... quelques cm de haut !

Un saxifrage à feuilles opposées
Une sorte de "salade" arctique (j'y ai goûté : goût légèrement acidulé, très bon !)
Le saule arctique
Le pavot arctique

  • Svalbard Global Seed Vault (GSV)
A Longyear se trouve la réserve mondiale de semences du Svalbard, une chambre forte souterraine qui reçoit depuis 2008 des semences venues du monde entier, dans l'optique de préserver la biodiversité en cas de perte accidentelle d'une variété. [1] D'autres banques de semences existent dans le monde mais aucune n'est placée dans une zone aussi stable des points de vue climatique, géopolitique, et économique. 
L'histoire de la GSV du Svalbard a commencé en 1984 lorsque le gouvernement norvégien a décidé de stocker les ressources génétiques de plantes de Scandinavie dans une mine de charbon abandonnée au Svalbard. En plusieurs années, ce sont près de 10 000 échantillons de 300 espèces différentes qui ont été stockés. Certains de ces échantillons ont fait l'objet d'un échange avec une banque d'Afrique du Sud, comme double-sauvegarde. Ces deux collections sont aujourd'hui réunies au sein de la GSV.
Cette réserve offre près de 1500 m3 de volume de stockage où les graines, maintenues entre -20°C et -30°C, pourront survivre des centaines d'années. La chambre forte située 130 m au-dessus du niveau de la mer permet de protéger les semences de l'humidité dans le cas de fonte des glaciers et de hausse du niveau des mers à l'échelle mondiale. Le permafrost permet quant à lui d'assurer qu'en cas de panne de l'unité de réfrigération, la température des échantillons ne devrait pas remonter au-dessus de -3°C, température de la roche environnante.

  • Nul ne naît ou ne meurt aux Svalbard
C'est un fait bien connu : une loi interdit aux habitants des Svalbard de naître ou mourir. Les femmes enceintes partent accoucher à Tromso ou dans d'autres villes du Nord de la Norvège. Comme on ne choisit pas l'heure de sa mort, il est techniquement possible de décéder sur place mais le corps est ensuite rapatrié sur le continent et la mort déclarée là-bas. Là encore, le permafrost est responsable de cette décision.
Des esprits chagrins objecteront qu'il existe un cimetière à Longyear. C'est la vérité, il y a bien un petit cimetière situé à flanc de colline à proximité d'une mine, mais il date de 1920 et rassemble les mineurs morts dans une explosion. [2] On peut trouver des croix près des ruines des premières habitations, datant de la création de la ville, mais depuis longtemps on n'enterre plus personne dans le sol des Svalbard.

  • Statut des Svalbard et villes fantômes
L'archipel des Svalbard est un territoire norvégien autonome et démilitarisé, qui n'est soumis à aucune fiscalité. Seules l'île aux Ours (9 habitants) et Spitzberg (un peu plus de 2300 habitants) sont habitées. Le statut de neutralité de l'archipel permet à n'importe quel pays d'exploiter librement les ressources locales, parmi lesquelles le charbon, ce qu'ont fait longuement les Norvégiens mais aussi les Russes. Jusque dans les années 1990 on recensait plus de Russes installés aux Svalbard que de Norvégiens ; aujourd'hui la proportion serait plutôt de 1 Russe pour 2 Norvégiens. Si Longyear (2110 habitants), Ny-Alesund (120 habitants) et Sveagruva (200 habitants) sont norvégiennes, la ville de Barentsburg (460 habitants) abrite encore une communauté russe et ukrainienne. On compte en revanche plusieurs villes russes fantômes : Pyramiden [3, 5] (depuis son abandon en 1998, 8 personnes y résident l'été pour entretenir les installations et recevoir les touristes), Grumantbyen [4, 5] (abandonnée en 1961), Colesbukta [6] ou Advent City. Ces dernières villes sont difficilement accessibles et seuls quelques aventuriers ont pu y parvenir.
A noter également que le Svalbard fut le théâtre d'une lutte méconnue entre le Troisième Reich et les Alliés pour l'implantation de stations météorologiques lors de la Seconde Guerre mondiale

Pour finir, voici Curieuse Tourterelle avec ses compagnons de route dans le zodiac sur le chemin du retour vers Longyearbyen.


Curieuse Tourterelle & ses compagnons

Mes sources :
[5]     http://expedicesvalbard.blogspot.fr/2010/09/268-2010-den-sedmy-relax-daygrumantbyen.html (site en polonais mais googletranslate fournit une traduction très approximative mais qui permet de comprendre de quoi cela parle - ce site raconte toute une expédition dans les Svalbard !)
[6]     http://samsatunis2014.blogspot.fr/2015/03/colesbukta-round-2-boys-trip.html (blog anglophone racontant les anecdotes d'étudiants en géologie/glaciologie venus pour une durée limitée dans la région)

mercredi 12 août 2015

Perspectives engageantes pour la France

Nous avons trop souvent tendance à nous tirer une balle dans le pied en ne retenant de notre pays ou culture que les aspects négatifs. Ainsi, quand on parle d'économie ou de droit du travail, on pense de suite à la crise, au chômage galopant, aux grèves récurrentes et à l'impasse dans laquelle se trouve toute personne souhaitant réaliser des réformes. Nous passons pour une nation de contestataires fainéants et peu motivés par notre travail, impossibles à réformer et particulièrement conservateurs.
Un article du magazine Alternatives Economiques de juillet/août 2015 présente la thèse inverse en pourfendant cinq idées reçues : [1]
  • Les Français sont paresseux
  • Les Français sont des assistés
  • Les Français sont des cigales
  • Les Français n'aiment pas l'entreprise
  • Les Français sont irréformables
Ainsi, on apprend que les travailleurs Français sont parmi les plus productifs au monde, avec un PIB par emploi l'an dernier de 79 millions d'euros, contre 67.6 millions en moyenne pour la zone euro. La durée hebdomadaire du travail en France pour les employés à temps plein est légèrement inférieure à la moyenne de la zone euro mais supérieure à l'Allemagne, à l'Angleterre et aux pays scandinaves. Les ménages Français comptent parmi les plus épargnants (15.1% du revenu disponible brut), derrière l'Allemagne (16.6%), la Suède (18.4%) et la Suisse (23.5%) ; ils figurent également parmi ceux qui ont en moyenne le plus de patrimoine, loin derrière la Suisse bien évidemment, mais devant les Allemands et les Britanniques. Le hic est que ces placements se font majoritairement dans l'immobilier, d'où l'entretien d'une bulle peu rentable qui n'a aucune répercussion sur la productivité à l'échelle nationale. Côté innovation et entreprise, on apprend que les Français sont les champions européens de la création d'entreprises, loin devant l'Allemagne, l'Italie ou l'Angleterre. Et, tenez-vous bien, quand on leur demande quelle importance a le travail dans leur vie, ils répondent majoritairement "c'est très important". Enfin, le sujet des réformes ne pouvait être abordé sans parler d'école et des retraites : le pourcentage de diplômés de l'enseignement supérieur est en effet passé de 18.4% pour la génération des 60-64 ans à 44% pour les 30-34 ans, ce qui place désormais la France au-dessus de la moyenne européenne (37%). Quant au régime des retraites, il a connu pas moins de 8 réformes depuis 1987. [1]

Je ne peux évidemment pas reproduire l'intégralité de l'article ici et me contente d'en extraire les points qui m'ont le plus marquée, mais je vous invite à le lire car il remet en question certaines idées reçues qui nous amènent à nous dévaloriser aux yeux de l'étranger. Nous avons des atouts certains, un terreau d'innovateurs et de créateurs, des salariés attachés à leur emploi, et en cela nous nous révélons attractifs, sinon raisonnables, pour le reste du monde. Bien entendu, cette analyse s'appuie sur des statistiques, des sondages, et nous savons qu'il est possible de présenter les chiffres de la manière la plus valorisante pour nous ; également, d'autres facteurs sont à mettre en perspective : on peut se réjouir d'envoyer de plus en plus d'élèves à l'université, mais la question du niveau global en baisse au lycée mérite d'être posée.

Pour rester dans un domaine similaire, Courrier International a publié cette semaine un article au sujet de l'annonce par Netflix et d'autres entreprises de l'instauration d'un congé payé parental "illimité" à prendre durant la première année de l'enfant. [2] Il serait ainsi possible de rester à la maison pour s'occuper de lui jusqu'à ses 1 an en conservant son poste et son salaire. Si l'annonce de Netflix en a réjoui certains, d'autres sont restés sceptiques, argumentant que le caractère optionnel et non obligatoire de ce congé va dissuader les salariés d'en profiter, "de peur d'être celui qui prend le plus de vacances", comme cela s'est à priori produit par le passé dans la firme allemande Travis CI.
Voilà bien une différence culturelle entre les Américains (ou Allemands) et nous : je connais peu de Français qui rechigneraient à exercer leurs droits au congé parental, même optionnel, à partir du moment où cela figure dans le code du travail. "Puisque les autres le font, pourquoi m'en priverais-je ?"

Mes sources :
[1]     Alternatives Economiques, n°348, pages 14 à 18.

mardi 11 août 2015

Conversion d'un temple en mosquée à Hambourg

Retour sur un sujet déjà traité dans ce blog mais qui me tient à cœur : la conversion d'églises ou temples en mosquées. Courrier International faisait la semaine dernière état La ville de Hambourg, en Allemagne, en a fait l'expérience récemment : les travaux de conversion de la Kapernaum-Kirche, temple datant des années 1960, en mosquée sont en passe d'être achevés et la nouvelle mosquée ouvrira prochainement ses portes.

A l'origine de la vente de ce temple, une constatation toute simple : il devenait impossible pour la communauté luthérienne de financer la rénovation et l'entretien du bâtiment. Aussi a-t-elle décidé, après avoir vendu ou récupéré le mobilier, de se séparer du bâtiment en s'adressant à un investisseur qui en a fait l'acquisition en 2004. Pendant près de 10 ans le bâtiment n'a pas trouvé preneur. Jusqu'en 2012 où le centre musulman Al-Nour (la lumière), qui se réunissait jusqu'alors dans un parking souterrain pour prier s'est porté acquéreur de l'édifice, grâce à l'aide d'un donateur koweïtien. Les travaux de conversion ont alors débuté. Il s'agit avant tout d'adapter l'intérieur du bâtiment en le rendant apte à pratiquer le culte musulman ; l'extérieur restera sobre, une calligraphie arabe en métal  "Allah" remplacera la croix au sommet du temple. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve cette inscription se détachant sur le ciel plutôt gracieuse.

Et à ceux qui dans l'article parlent de "déclin de l'Occident", je n'ai qu'une chose à dire : si pour vous l'Occident se réduit à la religion chrétienne, alors effectivement nous sommes en déclin et cela ne date pas d'hier ! Mais si l'on en croit la récente ouverture à Téhéran de fast foods inspirés du McDonald, alors non, l'Occident n'est pas mort ! [2] L'exemple est peut-être maladroit, mais il fait écho à l'actualité. Le McDo, à la fois symbole de l'Occident et du capitalisme, n'est pas vraiment quelque chose dont nous tirions beaucoup de fierté (surtout en France), mais manifestement, la culture occidentale au sens large a encore un attrait pour les non-occidentaux.

Mes sources

Deux romans de François Taillandier

Parmi mes lectures récentes, il est deux romans qui ont attiré mon attention: L'écriture du Monde  et La Croix et le Croissant de François Taillandier, qui forment les deux premiers tomes d'une trilogie consacrée aux cinq siècles suivants la chute de l'Empire Romain et préfigurant la construction de l'Europe Moyenâgeuse telle qu'on l'étudie à l'école. [1] et [2]
J'ai naïvement commencé par le second, attirée par sa couverture et également par le fait qu'il mettait en scène Omar, le deuxième Calife depuis Mahomet, ainsi qu'une figure emblématique du royaume franc de l'époque, Charles Martel. Accrochée par le style recherché mais sans fioritures de l'auteur, j'ai dévoré les deux livres en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

L'écriture du monde et La Croix et le Croissant racontent les conséquences directes de la chute de l'Empire Romain d'Occident et les tentatives de Constantinople de conserver la main-mise sur des terres qui apparaissent de plus en plus comme source ponctuelle de revenus que comme partie intégrante d'un ensemble cohérent. Les invasions barbares ont complètement désorganisé l'actuelle Italie mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, entre deux guerres, des échanges financiers, humains et culturels se créent : les gens commercent, communiquent, se marient, indépendamment de l'alternance des jougs. La fusion de toutes ces identités, habilement dirigée par quelques pontifes, finira par permettre l'émergence d'une identité chrétienne qui s'opposera à l'avancée de l'Islam au 8e siècle et délimitera une partie de l'Europe.
Il est également question de l'importance de conserver par écrit les connaissances de son temps, l'Histoire des lignées, la sagesse des anciens. La société barbare reposant sur la puissance temporelle se heurte à l'héritage stratégique romain et à son administration développée. L'idée qu'un certain pouvoir passe par l'écrit - ne serait-ce qu'en réécrivant sa propre généalogie ou en ne consignant que les faits à notre avantage - ne tarde pas à fleurir, avec une certaine conscience de soi-même, de ses actes.

On dira que c'est romancé, que l'auteur prête à ses personnages des sentiments, des aspirations, des doutes ou des regrets tout droit sortis de son imagination ; cela est vrai et nul ne sait si au crépuscule de son existence Cassiodore a connu le doute au regard du labeur de toute une vie, ou si la jeune Théolinda a fui un mariage arrangé dont l'idée la ramenait inéluctablement à la triste vie de sa mère. Néanmoins, n'oublions pas que ces personnes ont vécu, qu'elles ont aimé, ri, pleuré, souffert, et qu'en cela elles n'étaient pas très différentes de nous-mêmes. L'Histoire enseignée aux siècles suivants en a fait des figures de marbre mais ce furent avant tout des hommes et des femmes en proie à leurs faiblesses et à leurs tourments. Je ne peux que vous conseiller la lecture de ces ouvrages.

A lire également, un article de François Taillandier paru dans le Figaro, décrivant son rapport au catholicisme. [3]

Mes sources:
[1]     http://www.lemonde.fr/livres/article/2013/03/15/la-lueur-du-savoir-dans-les-ages-obscurs_1847562_3260.html
[2]     http://www.lefigaro.fr/livres/2014/04/17/03005-20140417ARTFIG00226-taillandier-un-romancier-au-septieme-siecle.php
[3]     http://www.lefigaro.fr/livres/2007/03/01/03005-20070301ARTFIG90152-francois_taillandier_moi_je_suis_catholique.php

mercredi 5 août 2015

Des gothiques et des satanistes

En entendant ce matin à la radio que les deux jeunes soupçonnés de dégradations sur un certain nombre de tombes en Lorraine se prétendaient "gothiques" [1], je n'ai pas pu rester sans réagir. Parmi les chefs d'accusation se trouvait l'acte de renverser des croix et d'inscrire le nombre du Diable "666" sur les tombes. Ma première réaction fut de m'exclamer "Dans ce cas, non ! Ces jeunes ne sont pas gothiques, mais satanistes ! Cela n'a rien à voir !" Et pour cause, si les goths portent classiquement des croix, la croix renversée, elle, est l'emblème des satanistes.

Vous vous demandez sans doute sur quoi je m'appuie pour affirmer cela : tout simplement sur mon expérience... de gothique ! Cette tranche de vie, qui s'est étalée sur une petite dizaine d'années à partir de mes 13-14 ans, m'a donné l'occasion de croiser toutes sortes d'énergumènes qui se réclamaient de telle ou telle mouvance ; parmi eux, divers goths et un sataniste ! A cet âge-là, être ou devenir gothique (ou même naître gothique, comme je le soutenais énergiquement à mes parents) est avant tout un moyen de se définir une identité culturelle et spirituelle ; s'habiller autrement marque une volonté de s'affranchir des codes vestimentaires véhiculés par les familles et la société en général, et pour les satanistes jouer avec les symboles sacrés est une provocation, non pas à l'égard des hommes, mais à l'égard de Dieu !

A l'époque (pas si lointaine) où j'étais ado, la différence entre goths et satos était clairement définie. Alors que beaucoup de gothiques se déclaraient athées ou irréligieux, les satanistes vouaient un culte - plus souvent fantasmé que réel - au Diable, en s'appuyant sur des symboles hérités du folklore ésotérique et religieux : croix renversée, pentagramme, nombre du Diable, etc. Ce culte consistait en théorie en un détournement ou pastiche des cérémonies religieuses. Ainsi, l'eau bénite devenait de l'eau croupie ou sale, les prières étaient récitées à l'envers (un peu comme les disques de rock), un animal ou un humain était sacrifié, l'autel servait de support à des activités sexuelles etc. En un mot, la messe chrétienne devenait messe noire. [2] Une parenthèse à ce sujet : les messes noires sont une source prodigieuse de fantasmes et de rumeurs chez les jeunes, et il convient d'en dire deux mots, car chez les satanistes, on en parle beaucoup mais en pratique on en fait aussi souvent que des petits-dej avec Nessy*. Les premiers écrits mentionnant les messes noires datent du XIIIe siècle mais celles-ci ont été rendues tristement célèbres le siècle suivant par Gilles de Rais [3] - par ailleurs compagnon d'armes de Jeanne d'Arc - dont la cruauté en fit une source d'inspiration populaire pour le personnage de Barbe-Bleue. Cet homme finit brûlé pour avoir perpétré un nombre important d'orgies et de messes noires, durant lesquelles il violait et sacrifiait de jeunes enfants en l'honneur du Diable ; des os d'enfants aurait d'ailleurs été retrouvés enterrés sur ses terres. Notons au passage que parmi les chefs d'accusation se trouvaient également des actes "contre-nature" (la sodomie) et l'alchimie, ce qui à cette époque suffisait déjà amplement à finir au bûcher. En bref, si Gilles de Rais n'était sans doute qu'un esprit détraqué marqué par la violence et la débauche, je doute que beaucoup de messes noires telles que les décrit sa légende aient été pratiquées jusqu'à nos jours.

Quand j'étais ado, être sataniste se réduisait donc à porter la croix renversée, réciter les prières chrétiennes à l'envers, (essayer d') invoquer des démons à l'aide de bougies et de pentagrammes tracés à la craie et crier sa rage contre Dieu ou l'Eglise. Ceux qui m'ont affirmé avoir pratiqué des messes noires ne sont vite avérés de la même trempe que les adorateurs de la sardine qui un temps - on s'en rappelle - avait bouché le port de Marseille ! Leurs messes noires se résumaient à des séances de spiritisme plus ou moins abouties. Le jour où l'on m'a invitée à participer à l'une d'elles, j'ai bien évidemment sauté sur l'occasion, alléchée par le titre ronflant ; mais sur place j'ai pu constater non seulement qu'il s'agissait simplement d'invoquer des démons, mais qu'en plus ils comptaient sur moi pour me placer au centre du cercle et réciter les formules (i.e. prendre tous les risques) sous prétexte que j'étais goth, et surtout qu'ils attendaient de moi que je congédie le démon proprement après la cérémonie - au cas où ce dernier serait tenté de venir chatouiller les inconscients qui avaient osé le déranger pendant son sommeil. Ne croyant pas aux esprits, je n'ai pas pu m'empêcher de demander : "Mais pourquoi le congédier ? Ce ne serait pas plus marrant de le laisser en liberté, vous avez peur de quoi ?" J'ai clairement lu dans les regards un mélange de gêne, d'incrédulité et de crainte. Mouais... J'étais donc en présence de satos trouillards ou superstitieux, autrement dit d'imposteurs !

Par la suite, dans la vingtaine, j'ai rencontré un garçon qui se définissait comme sataniste ; je me suis même inspirée de lui pour l'un de mes récits. Très honnêtement, rien dans son comportement ne reflétait la violence ou l'illégalité ; on étudiait ensemble, on faisait des soirées ensemble, on pestait contre les pions obtus qui nous faisaient retirer les clous et les bagues à l'entrée en classe, on parlait musique, littérature, cinéma en engloutissant de gros sandwichs. Rien de bien méchant à première vue, mais que dis-je ? Peut-être cachait-il bien son jeu ? Ou peut-être étais-je tombée sur un spécimen particulièrement rare de satos peace & love, qui sait ?

Pour ma part, j'étais résolument gothique. Présenté comme ça, cela ne veut pas dire grand chose car les mouvances goths, officielles ou non, sont aussi nombreuses que les sous-catégories "rock" à la Fnac (vous savez, vous êtes persuadé de trouver votre groupe préféré dans le rayon "métal" et vous le cherchez désespérément jusqu'à ce qu'un vendeur lève les yeux au ciel et vous redirige avec un soupir blasé du côté "rock alternatif"). Chez les gothiques, c'est à peu près la même chose, chacun se revendique d'une inspiration différente : les pin-up, les lolitas (très en vogue en Asie), les romantiques, les vinyl/latex, les clous/os/chaînes, les vampires, les sorcières, les aristos décadents... Au niveau des couleurs, si le noir demeure la dominante, certains ajoutent à l'envie du blanc, du violet (couleur cultuelle dans nombre de traditions, et associée à la magie), du rouge (sang ou autre), du rose (courant chez les lolitas)... Ajoutez à cela tous ceux qui pour le commun des mortels ressemblent de près ou de loin à des goths, métalleux, punk en tous genres et vous aurez une idée du mic-mac, qui pourrait se résumer à une histoire de style vestimentaire et musical. Néanmoins, celui qui creuse un peu trouvera des racines littéraires et spirituelles assez profondes, même si je reconnais que pour certains goths, l'idée générale se limite à s'habiller différemment.

Je me suis rapprochée des romantiques, de ceux qui aiment, en vrac : la poésie (surtout les poètes maudits), la littérature noire, diverses musiques que je ne me risquerais pas à catégoriser, la dentelle et le velours, les gants de satin, les chapeaux anciens, les longues chevelures soyeuses, les voiles de veuve, la lune, les vitraux, les bougies et la poussière, les araignées et croix en pendentif, les longues balades dans les cimetières, la mélancolie et le spleen... Je m'habillais de noir et de rouge bordeaux ; je gardais ma peau raisonnablement blanche et ma panoplie maquillage se composait d'un mascara et d'un khôl noirs, pour rehausser le regard, et d'un rouge à lèvres bordeaux, pour faire raccord avec les fringues. Sans oublier le classique vernis à ongles foncé ! Je n'allais pas plus loin dans l'excentricité, car je jugeais que toute caricature ne ferait que décrédibiliser la démarche. Mes références littéraires - que je conseille encore aujourd'hui - me portaient bien évidemment vers le roman noir ou roman gothique [4], mais aussi la poésie : Baudelaire (Les Fleurs du Mal, Le Spleen de Paris), Edgar Allan Poe ((Nouvelles) Histoires extraordinaires), Mary Shelley (Frankenstein), Bram Stoker (Dracula), Charles Robert Maturin (Melmoth), Matthew Gregory Lewis (Le Moine), et plus récemment Anne Rice (Entretien avec un Vampire). Quant au cinéma, je ne peux pas passer sous silence les chefs-d'oeuvre de Tim Burton [5] (Sweeney Todd, Edward aux mains d'argent, Alice, Les Noces Funèbres, etc.). De nature solitaire, je me suis trouvée à mon aise dans un univers où les gens se croisent, se remarquent mais ne se fréquentent pas beaucoup, où chacun invente ses propres codes et affiche ce qu'il souhaite afficher de lui. Bref, pas de quoi fouetter un chat. D'ailleurs, mon père ne s'y était pas trompé : après s'être d'abord alarmé contre ce qui lui apparaissait comme une secte, il s'était tranquillisé lorsque ses recherches internet lui ont renvoyé l'image d'un groupe de personnes qui lisaient de la poésie, parlaient de la mort, et se baladaient dans les cimetières habillés en noir.

Une partie de l'opinion publique va sans doute, dans les prochains jours, prendre fait et cause contre les jeunes un peu rebelles qui, au lieu de se raser la tête ou trouer leurs vêtements, décident de se faire remarquer en portant de la dentelle, du cuir et des clous. Le danger est réel, nous savons tous que l'uniformisation de l'individu (si possible rendu au préalable asexué) est le meilleur chemin vers l'épanouissement personnel et le développement de la créativité ; de même, il est de notoriété publique que toute personne sortant de la norme est promise à un avenir précaire et ponctué de décisions dévastatrices. Néanmoins, pour moi qui ai traversé une période gothique avec enthousiasme et profondeur, je ne peux que saluer cette culture qui a forgé une partie de mon identité et m'a aidée à identifier et exprimer mes convictions, à un âge où il est si difficile de s'affirmer.

Pour finir, je vous soumets une définition personnelle quoique partagée avec un certain nombre de gothiques plus âgés : le gogoth. Un gogoth est un être étrange, grégaire et facilement influençable, dont l'appartenance à la mouvance gothique est proportionnelle au nombre de symboles qu'il affiche sur ses vêtements ou sur son sac. Le gogoth se rencontre aux abords des collèges et lycées et il n'est pas rare d'en retrouver jusque sur les bancs de la fac ; néanmoins il est facilement reconnaissable à sa tendance à se déplacer en groupe, casque aux oreilles et New Rocks aux pieds. Ne cherchez pas à engager la conversation ! Le gogoth n'est pas méchant ; il est juste un peu immature, et il passera son chemin pour rester avec ses potes.
En somme, le gogoth est une pâle copie, une naïve caricature du goth avec qui, pour le coup, vous pourriez discuter !

*Nessy: l'un des surnoms du légendaire monstre du Loch Ness.

Mes sources: